Me taire, d’Olivier Letellier.

(crédit photo: Théâtre du Phare)

« Je voulais traverser ce mur, et je comptais sur mes cheveux pour y arriver. »

 Cette phrase pourrait être le prélude d’une histoire dans la veine fantastique, et pourtant il n’en est rien ici, puisque Paloma, le personnage principal de l’histoire (mais qui n’en est pas l’héroïne), n’a aucun pourvoir surnaturel et ne peut compter que sur elle pour pouvoir un jour sortir de sa favela. Pourtant c’est bien une histoire de cheveux, cette chevelure qui est l’atout majeur de Paloma, lorsqu’elle défilait déjà pour les concours de mini-miss. Or après les premiers flashs des photographes, on découvre au début de cette pièce une Paloma adulte, sur le point de couper ses cheveux… Qu’est-il arrivé ? Pourquoi cette hérésie ?

Le mur qu’il s’agit de traverser est celui qui sépare la favela des beaux quartiers, la maison de Paloma, de sa sœur Cristal et de leur mère, et celle de Mme Angelina, chez qui la mère fait le ménage. Les fillettes ne les ont jamais vues, ni la maison, ni Mme Angelina, et pour cause : il n’y a pas de porte dans ce mur, et si l’on veut aller de l’autre côté, il faut prendre un bus, qui fait un long détour de deux heures. Or, d’après ce que leur raconte leur mère, Mme Angelina n’est pas si différente d’elles et n’est pas aussi heureuse qu’elles le pensent. La première rencontre entre Paloma et Mme Angelina se fait sur le premier concours de mini-miss, à travers une phrase que cette dernière adresse à la petite, et qui l’accompagnera longtemps : « Tu as le Brésil en toi ». A partir de ce moment, fini le mur, direction Paris et les premiers contrats. Puis les podiums vont s’enchaîner, aux quatre coins du monde, permettant à notre jeune star de tourner le dos au Brésil et à la misère, même si les coups de téléphone des proches les rappellent à la mémoire de temps à autres. Pour Mme Angelina, c’est le chemin contraire qui s’effectue, le long chemin pour venir à la favela et découvrir un autre monde. Elle décide alors de s’engager, de ne plus « se taire », et de se battre pour les plus démunis, elle, la femme de bonne famille habitant de l’autre côté du mur. Quand les chemins de Mme Angelina et de Paloma se recroiseront, cette dernière, qui a toujours divisé le monde en deux, ce qui est beau, et ce qui ne l’est pas, se demandera alors : sa vie à elle, à quoi sert-elle ?

Cette fable est une belle réflexion sur la volonté et l’engagement au féminin. Une seule actrice est présente sur scène et prend en charge tous les personnages, les faisant vivre à travers des voix, une posture, l’ombre d’une main projetée sur un écran blanc… Le dispositif scénique assez épuré accorde beaucoup de place aux jeux de lumière. En effet, l’actrice déambule la plupart du temps sur un petit podium blanc rappelant les défilés de mode, et décroché du sol sur lequel s’étalent des bassines de toutes les couleurs, dont certaines s’éclairent parfois. Que représentent-elles ? Peut-être l’état misérable de la maison familiale ? Parfois ce sont les bassines d’eau ou de linge que la mère transporte, d’autres fois, ce sont les bouches multicolores que Cristal, la sœur de Paloma, peint sur le mur de séparation, d’autres fois encore elles prennent la place des personnages absents. Tout ceci produit un théâtre très visuel et poétique, où chaque point de couleur est une touche supplémentaire au tableau. Théâtre qu’il est sans doute préférable, pour cette raison, de voir du haut des gradins, à défaut de pouvoir dans cette mise en scène être en proximité directe avec le plateau.

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Le Théâtre du Phare d’Olivier Letellier présentait à Marseille les deux dernières pièces d’un triptyque intitulé « Maintenant que je sais / Je ne veux plus / Me taire ». Chacune d’entre elles est une histoire indépendante, mais la problématique est commune : au Brésil, comment et pourquoi une femme décide de changer de vie.

Elisabeth Pouilly

Vu au Théâtre Le Merlan – Scène Nationale de Marseille, le 15 mars 2017.

Elisabeth Pouilly est doctorante en Etudes Theâtrales à Paris III. Elle fait une thèse sur le théâtre et le cinéma d’Alejandro Jodorowsky. Elle est professeur de lettres modernes à Marseille.

Texte, écriture au plateau : Sylvain Levey
Mise en scène, écriture au plateau : Olivier Letellier
Assistanat, écriture au plateau : Jérôme Fauvel, Cécile Mouvet
Lumières, régie de production : Sébastien Revel
Son : Mikael Plunian
Scénographie, costumes : Grégoire Faucheux
Écriture au plateau et interprétation : Olivia Dalric

 

 

 

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