Saga de Jonathan Capdevielle

(crédit photo: Estelle Hanania)

Saga, le titre relève du souffle épique, et pour cause: la pièce utilise du matériel autofictionnel, tout comme le précédent Adishatz/Adieu, créé par Jonathan Capdevielle en 2009. Il s’agit d’une grande quantité de vidéo et souvenirs familiaux que Capdevielle a repris et synthétisé sur scène, donnant à voir mais surtout à imaginer un lieu mental au spectateur. C’est en effet surtout par le biais d’une démultiplication de voix et d’accents, diffractés par l’enregistrement, ainsi que par le corps du metteur en scène/interprète et celui de ses compagnons, que les lieux de sa jeunesse – Tarbes et Pau – revivent sur le plateau.

En plus du titre, le spectateur a d’autres moyens pour accéder à ce théâtre de la mémoire : la mise en exergue du script au début, écrit sous nos yeux en direct, vient souligner la matière fictionnelle. Toutefois les effets de comique instaurés par certains clins d’œil linguistiques/géographiques, ainsi que l’introduction du Jonathan enfant, risquent par leur trop grand succès de désorienter et retarder la compréhension du fonctionnement de la structure dramaturgique. Tout comme les souvenirs, celle-ci ne procède pas simplement d’une façon chronologique, même si on peut recueillir quelques indices de l’évolution d’une histoire, d’une saga familiale, justement. L’intention de Capdevielle est de faire travailler l’imagination du spectateur. Il laisse donc quelques mailles ouvertes dans sa structure narrative. Mais on a l’impression que cet effort reste pour beaucoup au degré de la simple reconnaissance de ce qui est comique et auto-parodique. Ainsi certains choix de la mise en scène deviennent difficiles à saisir, surtout pour ceux qui n’auraient pas eu accès à la rencontre du metteur en scène avec le public au théâtre, quelques heures avant : je me réfère par exemple à la nudité des performeurs, qui s’installent sur le grand rocher qui domine la scène – seul élément scénographique – pour évoquer tout simplement une journée à la mer. Même s’il s’agit d’une nudité qui n’a pas du tout de finalité provocatrice ou exhibitionniste, cela a créé quand même quelques murmures dans la salle. Certains ne comprennent que tardivement qu’il s’agit de bribes de souvenirs.

Ce qui reste impressionnant dans ce spectacle c’est déjà la grande habilité des performeurs, dans le chant, dans le jeu qui les oblige à un décalage constant entre le travail sur la voix, le geste et le corps : formidable et en même temps déroutante à ce propos la scène évoquant le problème du SIDA – caractéristique de la génération de Capdevielle – où le metteur en scène travesti se déplace énergiquement avec son corps entre tragique et comique. Cette capacité de déplacement de situations émotionnelles, de langages, d’images scéniques se retrouve dans la structure dramaturgique, avec en plus la difficulté de travailler dans un espace pratiquement vide. Le spectacle assume donc certains risques, volontairement – surtout dans la vidéo finale qui ajoute encore une autre couleur à cette performance –et laisse un public bousculé mais tout autant enthousiaste.

Fabio Raffo, vu au Théâtre la vignette, Montpellier, le 30/03/2016

Conception et mise en scène: Jonathan Capdevielle
Texte: Jonathan Capdevielle avec Sylvie Capdevielle et Jonathan Drillet
Conception et réalisation scénographique: Nadia Laure
Lumières Patrick Riou
Régie son: Vanessa Court
Avec: Jonathan Capdevielle, Marika Dreistadt,
Jonathan Drillet et Franck Saurel

 

 

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