Kyoto Forever 2 de Frédéric Ferrer

(crédit photo: Baptiste Klein)

1h30 pour sauver le monde

« Ce n’est pas parce qu’on arrive en retard à la fête qu’on ne peut pas avoir une part du gâteau » (Congo)

À l’heure du réchauffement climatique et de la fonte spectaculaire des glaciers, en parallèle de la Conférence Paris Climat 2015/COP21 qui s’est déroulée en décembre dernier, où écologistes et économistes s’arrachent les cheveux sur l’avenir de la planète alors que chaque individu culpabilise un peu plus chaque jour au regard de la pollution qu’il génère, Frédéric Ferrer nous présente ici le deuxième opus de Kyoto Forever. Auteur des textes de ses spectacles, interrogeant tout autant les figures de la folie que les dérèglements climatiques, cet agrégé de géographie développe depuis 2005 avec la compagnie Vertical Détour un cycle théâtral intitulé les Chroniques du Réchauffement, explorant notre humanité par la lorgnette des évolutions climatiques.

Sur le format d’une fausse conférence, Kyoto Forever 2 réunit huit représentants de différentes nations du globe. L’enjeu est capital : ils n’ont que quelques jours pour décider de l’avenir de la planète. Pour la première fois cependant, Frédéric Ferrer réunit des négociants climatiques théâtraux au moment où l’avenir de la planète est réellement débattu, en prise directe avec une actualité bouillonnante. De quoi compliquer quelque peu les réflexions et les choix artistiques du metteur en scène.

Avec une rigueur journalistique tatillonne et méticuleuse, le texte de Kyoto Forever 2 est efficace, concret. Dans une démarche quasi de théâtre documentaire telle que la définit Peter Weiss en 1967, Frédéric Ferrer a effectué un vrai travail de collecte d’informations et d’entretiens avec des experts. Il a suivi avec rigueur les travaux de l’ONU, réutilisant pour les dialogues du spectacle des formules authentiques prononcées lors de réunions politiques. Ce texte rigoureux confère à la mise en scène tout le sérieux qu’il convient d’accorder au sujet traité. Les tailleurs, les micros, les bouteilles d’eau, les petits pas pressés, le stress et les piles de dossiers, tout est là.

Dans une urgence absolue où les sourires crispés sont de circonstance, le burlesque prend le dessus. Sur le fil entre sérieux et ridicule, chaque porte-parole vient se présenter rapidement au micro, relatant ses études ou son enfance. La musique cadence ces présentations, donnant un ton d’urgence et de gravité à la situation comme dans un bon film d’action. On marche vite, on prend vite la parole, on fait tomber ses dossiers… Cette précipitation généralisée, mettant en évidence une course contre la montre entre les décisions politiques et le dérèglement climatique, tourne en ridicule la situation. Alors que le temps et les dégâts climatiques ne se rattrapent pas, cette course effrénée se perd dans le vide. Tout en maintenant une urgence certaine, les porte-paroles débattent autour de certaines formulations du texte, s’interrogeant sérieusement sur le choix d’un crochet ou d’un tiret comme si l’avenir de la planète se jouait sur la ponctuation. C’est alors l’inutilité de certains débats, cette sensation de courir après le temps tout en perdant en réalité son temps sur des banalités qui est mise en scène. Ces intervenants qui parlent pour ne rien dire mettent finalement en évidence une non-prise de position et peut-être une certaine forme de lâcheté qu’un tailleur ou une tonalité convaincante et déterminée ne suffisent pas à masquer.

La scénographie est celle d’une conférence avec une immense table en bois au centre en forme de flèche indiquant le fond de scène (une flèche qui va en avant ou bien qui fonce droit dans le mur, selon l’interprétation). Le sol est vert et des plantes encadrent la scène : pas de doute, nous sommes bien à une conférence sur le climat. Des écrans et des caméras projettent des images et des informations. Si de petits drapeaux marquent la place de chacun autour de la table de négociation, chaque porte-parole n’est plus désigné que par le nom de son pays lorsque le modérateur lui donne la parole : l’individu est annihilé au profit du pays représenté. Ce ne sont plus des hommes et des femmes qui débattent ensemble, mais des nations qui s’entrechoquent.

Si la présence d’une traductrice au début du spectacle met en évidence l’aspect mondial et multiculturel de la conférence, les porte-paroles s’entendent assez vite sur l’emploi généralisé du français lors des débats : première étape des négociations, un accord est en marche. Néanmoins, chaque intervenant semble véhiculer les clichés associés à son pays : les nations nordiques sont arrogantes là où les français sont donneurs de leçon ; la Chine et les États-Unis se renvoient la balle du plus grand pollueur mondial, tandis que le Brésil et le Congo s’estiment n’être que des victimes. Le positionnement des Pays Arabes est ambigu : si leur représentante tente désespérément d’avoir la parole, le modérateur ne la lui accorde jamais. Porte-drapeau d’une économie pétrolière qu’elle doit défendre malgré ses convictions, cette représentante est confrontée à ses frustrations personnelles qu’elle doit étouffer au profit de la nation. En creux, on voit se dessiner l’humain derrière le représentant, l’individu derrière la nation, dont les idéaux qu’il défend sont peut-être très différents des siens. Pour essayer de se comprendre, on se lève et on essaye de se mettre à la place de l’autre autour de la table, en vain. Seule la France restera sur son siège de départ.

Le spectacle bascule vers un onirisme écologique plus léger dans un deuxième temps, quittant la lourdeur et le stress du schéma conférencier. Les participants sont en repos vêtus de tenues vertes et font du tourisme sur l’Île Maurice qui accueille la COP. Cette bulle verte et décontractée, qui tranche considérable avec le marathon des décisions, plonge les porte-paroles dans une forme d’absurdité face à l’urgence de la situation. Dans ce moment aéré et touristique, le spectacle met en lumière non plus les représentants dont l’identité était niée au profit du pays, mais bien les femmes et les hommes qui se situent derrière les tailleurs, les drapeaux et les enjeux économiques. Il s’agit ici de montrer l’humanité telle qu’elle est : un groupe d’hommes et de femmes qui, à leur plus petite échelle, semblent porter la trop grande responsabilité des agissements et des décisions de milliards d’individus. Le dodo, cet oiseau disparu de l’Île Maurice, vient alors au cœur de la conversation : véritable archétype de la disparition d’une espèce due à l’activité humaine et notamment à l’arrivée des Européens au XVIIe siècle, le dodo finit par rassembler tout le monde. Aucun des porte-paroles ne souhaite être considéré comme responsable de la disparition du dodo causée par ses ancêtres quelques siècles auparavant.

Métaphore des agissements de l’humain sur la planète et ses conséquences, le dodo montre en effet que ce sont les générations futures qui sont en charge de réparer les dégâts causés par les générations précédentes sur la planète, dans le but, non seulement de sauvegarder notre écosystème, mais l’espèce humaine dans son ensemble. Avec Kyoto Forever 2, Frédéric Ferrer parvient avec un optimisme débordant à éveiller les consciences par le théâtre et le rire, en réconciliant les Hommes avec leurs culpabilités ancestrales.

Oriane Maubert

Kyoto Forever 2
Ecriture et mise en scène : Frédéric Ferrer
Production : Vertical Détour/La Maison des Métallos
Avec ; Behi Djanati Atai, Karina Beuthe, Chrysogone Diangouaya, Gurani Feitosa, Frédéric Ferrer, Max Hayter, Charlotte Marquardt, Délia Roubstova et Haini Wang.
Lumières, construction, accessoires et régie générale : Olivier Crochet
Création sonore : Pascal Bricard
Dispositif vidéo : Pascal Bricard et José-Miguel Carmona
Costumes : Anne Buguet
Assistante : Claire Gras
Création 17 novembre 2015, Maison des Métallos, Paris

Au Théâtre Vignette à Montpellier les 9 et 10 Mars 2016.

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