Sainte Jeanne des Abattoirs, de Marie Lamachère

(crédit photo: Soraya Hocine)

A l’heure de la disparition récente de Fidel Castro, un des derniers symboles vivants de la tentative de mise en pratique des idées communistes en société, Sainte-Jeanne des abattoirs, mise en scène par Marie Lamachère, propose entre-autre une sorte de bilan sur le communisme et comment celui-ci a été appliqué au XX° siècle. Effectivement le spectacle, basé sur le texte du communiste Bertolt Brecht, ouvre souvent à des réflexions, reposant sur le comique, sur le communisme tel que nous pouvons le comprendre aujourd’hui. Il s’agit en fin de compte de l’actualisation de la pratique brechtienne, qui exigeait une réflexion et un engagement chez le spectateur, par le biais de la mise en scène de ses textes théâtraux.

Le texte présente donc un scénario de luttes dans les abattoirs de Chicago des années 1930. Pendant la crise du système capitaliste, l’entrepreneur des abattoirs Pierpont Mauler compte en profiter de la situation pour éliminer la concurrence. Les ouvriers sont les premiers à payer le prix de cette lutte sans merci parmi leurs patrons : Jeanne Dark, membre du groupe religieux des Chapeaux Noir, essaye de les aider, mais ne réussit pas à concilier sa position pacifiste et l’engagement dans une lutte qui ne peut que passer par la violence…

Nous voyons le spectacle s’ouvrir sur l’analyse d’une vidéo en noir et blanc. Les comédiens, mélangés avec le public, se demandent comment interpréter cette vidéo. Ce qui en résulte est une constatation de l’impossibilité d’une analyse dépourvue d’idéologie, car chaque élément de la vidéo est analysé et souligné, de façon presque absurde, selon les idées politiques des comédiens : la vidéo s’ouvre par exemple avec un drapeau en premier plan, qui pour un des comédiens doit être forcément rouge, même si les autres essayent de le convaincre du contraire. La fable brechtienne s’installe ensuite, mais d’autres ajouts de la mise en scène ne manquent pas de réapparaitre : nous pensons surtout à la description, un peu (trop ?) longue de la grève générale en Pologne sous la dictature communiste. Ce qui en ressort est surtout la nature paradoxale de cet événement historique, où les contestataires mènent une lutte avec des revendications qu’on pourrait qualifier de communistes, contre un gouvernement dictatorial qui se voulait précisément communiste.

Nous avons encore des vraies images d’abattoirs, ou de la Bourse, qui entrent en dialogue avec la scénographie du spectacle, ce qui ancre d’autant plus la fable dans l’actualité et invite le spectateur à poursuivre sa réflexion, pendant qu’il profite de la mise en scène.
Car il faut le souligner, la production est remarquable par la qualité et l’effort demandés: trois heures abondantes de spectacle dans lequel le rythme se tient, malgré quelques longueurs. Les acteurs nous domptent avec leur énergie, d’où ressort un cynisme amer et grinçant sur l’état actuel de notre société. Le jeu se fait encore surprenant grâce à la scénographie, un édifice sur deux plans, relié par un escalier où l’on peut voir à plusieurs reprises une métaphore de la lutte des classes. Souvent d’ailleurs cette confrontation se déplace aussi dans l’espace du public, mais les tentatives de faire participer les spectateurs ne sont pas vraiment aboutis, même si on est énergiquement atteint par cet effet « assemblée ». Toutefois le spectacle est aussi divertissant: effectivement le comique et la qualité des moments musicaux sont vraiment attirants, ainsi que le grotesque des figures du pouvoir des entreprises des abattoirs. Certaines fois nous nous perdons dans les aventures économiques complètements amorales de ces terribles capitaines d’industrie : mais au fond, même dans notre réalité, est-ce que le but de la haute finance et de l’industrie n’est pas précisément celui de ne pas se faire comprendre par leurs spectateurs ?

Nous retrouvons ici la leçon apprise par Brecht, lui qui voulait montrer à travers ses textes la complexité du monde et du système économique. En même temps, tout en restant dans la filiation brechtienne, ce texte permet aussi à Marie Lamachère d’en reporter des réflexions plus actuelles sur l’état de notre société et sur la possibilité du développement du communisme aujourd’hui. Ce qui en ressort est donc un spectacle profondément actuel et en plus plein d’énergie et d’inventivité. A ne pas manquer.

Fabio Raffo, vu au Théâtre La Vignette – scène conventionnée, le 7/12/2016

Mise en scène Marie Lamachère, texte de Bertolt Brecht
Création lumières: Frank Besson
Scénographie: Deplhine Brouard
Images vidéo: Gilbert Guillaumond
Conseil et montage musical: Renaud Golo
Avec: Michaël Hallouin, Laurélie Riffault, Gérald Robert-Tissot,  Gilles Masson, Antoine Joly, Anais Vaillant,…

 

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