La Splendide actrice d’Yves-Noël Genod

(crédit photo : Marc Domage)

Il y a quelques semaines nous vous parlions ici–même du spectacle Or, d’Yves-Noël Genod. Une pièce qui s’inscrivait dans une série de sept spectacles (série intitulée Leçon de théâtre et de ténèbres) créés par l’artiste entre septembre et décembre 2015, au théâtre du Point du Jour (Lyon).La splendide actrice constitue la 4e pièce de la série.

Explosante-fixe

Comment parler de ce théâtre troublant- dansé et chanté – qui joue sur la perception et sur l’ineffable ? Comment parler de façon rationnelle d’un théâtre qui touche au mystique, au sacré et qui tient davantage du lyrisme et du déchaînement de sensations ? Comment parler enfin, d’un théâtre qui ne nous montre pas, ne nous raconte pas, ne nous expose pas, mais au contraire nous fait, quelque chose, par ce qu’il ébranle au plus intime de nous-même… Alors quoi ? Faut-il discourir sur cette Splendide Actrice au risque de l’aplatir tout à fait ? La réponse est oui. Parce que malgré tout, en parler demeure le meilleur moyen d’inciter les novices à tenter l’expérience –émotionnelle.

Tentative de description, donc… Et pour commencer, puisque cette forme de théâtre jouant sur la juxtaposition d’images incongrues semble avoir beaucoup hérité du surréalisme, j’aimerais au travers de Julien Gracq, revenir à ce mouvement artistique dont le but affiché était de renverser la « vie à contrecoeur ». « Ce n’est pas la beauté qui règne ici, déclarait-il, ou du moins qui voudrait régner ici, mais la vertu – au sens où on parle de vertu des simples, des plantes, des talismans. Ce que le surréalisme a voulu mettre au monde ou exalter, ce ne sont pas des « choses de beauté », mais des poèmes, des images, des objets, des collages, des collisions, des rencontres porteuses de forces, de connivence avec les influx cachés qui innervent ce monde, avec les virus aussi qui l’attaquent. » Telles sont en effet les forces en présence dans le théâtre d’Yves-Noël Genod.

lavābis me, et super nivem dēalbābor

La représentation commence par une immersion dans le noir (3 autres suivront). Expérience étrange durant laquelle on entend des fauteuils qui craquent à droite, à gauche, puis derrière soi. Certains spectateurs respirent bruyamment. Impression de malaise. Que se passe-t-il ? …Puis la pièce s’ouvre sur un plateau nu, mais baigné d’une lumière verte, irréelle : au centre un homme partiellement couvert d’une armure- le sexe nu ; ce pourrait être Hamlet ? Côté cour, un anonyme recouvert d’une parka à capuche. Ils se tiennent immobiles, semblables à des mannequins. Aucune trace de vie, l’image reste figée durant un temps infini. D’autres interprètes, nus ou pas viennent les rejoindre. Certains vont danser, seuls. D’autres vont chanter, s’habiller, se dénuder, évoluer, survivre les uns à côté des autres… Seule certitude : il n’y a aucune communication entre eux, ils ne se touchent pas, toute rencontre ou relation est totalement exclue. Viennent se succéder des tableaux plus surprenants les uns que les autres, tels des apparitions oniriques. Un danseur en combinaison à fleurs ondule sensuellement sur Les Mots bleus de Christophe. Des lancés de pétards dégagent une odeur de soufre dans la salle sombre et dessinent des clairs-obscurs semblables à ceux de De La Tour. Des effets de basses fréquences et de diaphanéité stroboscopique alternent avec le chant des anges : notons par exemple le Concerto pour violon BWV 1042 de Bach, et le Miserere d’Allegri. L’ensemble constitue un patchwork hétéroclite de flashs issus de l’imaginaire du metteur en scène, flashs probablement liés à des souvenirs de lectures ou de représentations de La Mouette. Des souvenirs ou plus précisément des restes. Des reliques, soit du familier et de l’étrange, de l’inquiétante étrangeté (définition que donne P. Fedida de la relique dans L’Absence). Tant et si bien que durant une bonne partie du spectacle, ce sont véritablement des reliques qui nous sont présentées : celles de La Mouette, de la difficulté d’aimer, des ratés de la vie, de l’art, du théâtre, du théâtre sur le théâtre…

Je suis une mouette…ce n’est pas ça…je suis une actrice… Il ne croyait pas au théâtre…il se moquait toujours de mes rêves…

Nous finirons par la rencontrer cette splendide actrice : il s’agit de Laetitia Dosch mais il s’agit aussi de Nina, le personnage de La Mouette. Elle intervient à la fin du spectacle ; elle était parmi nous, dans le public. Quand elle descend sur scène pour nous jouer le début et la fin de La Mouette, comme en accéléré, la lumière est devenue crue. On range déjà les accessoires. Les précédents interprètes vont et viennent. Le théâtre va fermer. De toute façon Nina est à la fin de sa vie, devenue une actrice ratée, sacrifiée. La représentation s’achève comme elle avait commencé, dans une lumière verte, couleur maudite pour le théâtre. Les saluts ont lieu hors de la scène, signe que le proscenium et que cette lumière verte sont des interprètes à part entière mais qu’ils sont aussi et avant tout sacrés. Nous quittons la salle avec la tête pleine de souvenirs magiques et en particulier la trace laissée par cet extrait de La Mouette repris par Laetitia Dosch comme un leitmotiv :« Une jeune fille passe toute sa vie sur le rivage d’un lac. Elle aime le lac, comme une mouette, et elle est heureuse et libre, comme une mouette. Mais un homme arrive par hasard et, quand il la voit, par désœuvrement la fait périr. Comme cette mouette ». Il est des mystères dont il convient de préserver la fragilité. Essayez d’arracher le voile et vous détruirez alors leur beauté tout comme on fait mourir les papillons en les retenant prisonniers dans une boite.

Sophie Rieu

La Splendide actrice de Yves-Noël Genod

Avec : Bertrand Dazin, Laetitia Dosch, Simon Espalieu, Jonathan Foussadier, Yuika Hokama, Jeanne Monteilhet, Antoine Roux-Briffaud, Gaël Sall
Lumière : Philippe Gladieux, Gildas Gouget

Site du théâtre du Point du Jour : http://www.lepointdujour.fr/
Blog de Yves-Noël Genod : http://ledispariteur.blogspot.fr/

Du 3 au 7 novembre 2015, 20h
Durée : 1 h 45

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