Juste avant que tu ouvres les yeux de la cie KTHA

(crédit photo : Mathilde Marcel)

Qu’est-ce qu’il se passe dans ma tête pendant les neufs minutes qui séparent la première et la seconde sonnerie du réveil ?
Qu’est-ce que tu vas faire aujourd’hui ?
On va où ?(1)

Assise sur les marches du bureau de poste d’Aurillac, je relis le texte de présentation de Juste avant que tu ouvres les yeux, dernier spectacle de la compagnie Ktha(2). Mon imagination se laisse bercer par les mots. Je me suis interdit de lire les articles parus la veille dans la presse locale. Je n’ai pas voulu en savoir plus, pas voulu gâcher ma surprise.

Habituée des friches industrielles et des lieux non pré-affectés, la troupe, codirigée par Nicolas Vercken et Lear Packer, découvre en 2008, lors d’un laboratoire d’écriture théâtrale en milieu urbain, un container, la résonance entre l’intimité de son théâtre, l’environnement urbain et le caisson métallique, est immédiate. De cette rencontre esthétique est né: Est-ce que le monde sait qu’il me parle et Je suis une personne(3), théâtre de container qui débouche en 2014 sur Juste avant tu ouvres les yeux, « spectacle à 3.5km/heure pour une ville, un camion gradin et trois acteurs »(4).

Aux petits soins, le metteur en scène nous installe dans le gradinage à l’arrière du camion. Nous sommes approximativement quarante. Des bouteilles d’eau ont été prévues pour chacun. Debout sur l’asphalte, les comédiens, un homme et deux femmes, habillés de vêtements hautes visibilités, jaune fluo, nous regardent un à un-nous isolant du reste du groupe, sourient et lancent un bonjour qu’ils soulignent d’un geste de la main. Lentement, le camion démarre.

D’emblée, l’intimité est là, dans le regard franc et sincère des comédiens. Elle s’affirme dans le tutoiement.

Tu sais.
Il y a ce petit moment.
Cet instant où tu te demandes.
Tu te demandes tout et tu ne sais rien.(5)

Dans ce monologue à trois voix, le spectateur est mis en dialogue. L’adresse directe attend une réponse suspendue aux lèvres des spectateurs dans un sourire. A défaut de texte, je souris. Le récit familier du réveil matin se déroule sur un fondu urbain. Le paysage défile à 3.5km/heure. Pour désobéir à l’alarme matinale, aux impératifs d’un monde en constante accélération, Juste avant d’ouvrir les yeux ralentit les flux, freine la circulation.

La journée commence par ce mot Alarme
Tous les matins
Tous les matins tu as envie de te rendormir(6)

Toujours, l’un des comédiens reste en retrait par rapport au cortège pour apaiser l’agacement des automobilistes par quelques mots. Je ne les entends pas. Je les vois. Je les vois rassurés, soulagés sortir leurs portables pour prendre une photo. Le spectacle s’offre aux passants. Il ouvre une focale cinématographique sur la ville. Le camion-gradin met en jeu la mobilité du regard du spectateur « dans un long travelling arrière, ininterrompu et régulier »(7), met en relief, expose dans la surélévation et la mobilité sa place.

Quand tu y penses quand même ça fait bizarre de te dire que le premier mot de la journée c’est alarme. Ça doit bien influer sur le reste.(8)

Je suis dans un aller-retour constant entre le proche et lointain, entre le jeu et la mise en scène du quotidien. Les comédiens ouvrent la perspective, s’arrêtent sur la voie, laissent notre regard se perdre pour mieux le raccrocher. Ils se relaient pour raconter. Dans un jeu millimétré leurs voix parfois se chevauchent et imaginent ce que ça pourrait faire « d’avoir le choix, de faire comme ça me chante. »

Quarante-cinq minutes, cela n’a pas pu être si long. Neuf minutes à peine. Au bout de la rue, ils nous abandonnent peu à peu d’un geste de la main. Je lève la main pour répondre. L’homme assis à côté de moi fait de même. Je ne le regarde pas mais je sais qu’il sourit parce que je fais de même. Lentement nous nous éloignons de la douce utopie.

Mathilde Marcel

(1) Programme du Festival International de Théâtre de rue 2015
(2) http://www.ktha.org
(3) Spectacle que j’ai pu voir en 2012 dans le cadre du Festival Transnational des Artistes de Rue, Chalon dans la rue à Chalon-Sur–Saône.
(4) http://www.ktha.org
(5) Extrait du texte de Juste avant que tu ouvres les yeux
(6) Extrait du texte de Juste avant que tu ouvres les yeux
(7) Dossier de diffusion de Juste avant d’ouvrir les yeux
(8) Extrait du texte de Juste avant que tu ouvres les yeux

Un spectacle de la compagnie Ktha : Chloé Chamulidrat, Micheal Ghent, Solenne Keravis, Laetitia Lafforgue, Yann Le Bras, Camille Lévêque, Guillaume Lucas, Lear Packer, Patrice Teysseyre, Nicolas Vercken et Mathilde Walh. Avec l’aide de : Yanosh Hrdy, Roi Joan Jimenez, et Séverine Rovel.

Dates à venir :
12 et 13 septembre 2015-Cergy soit !-Cergy (95) à 15h00, 17h30 et 20h00
18 au 20 septembre 2015 – Scènes Plurielles, Communauté d’Agglomération de La Porte du Hainaut (59)
vendredi 18 à Oisy : 18h30 et 21h00
samedi 19 à Mastaing : 18h30 et 21h00
dimanche 20 à Mortagne-du-Nord : 16h30 et 19h00

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